Alcuin

ALCUIN

un artisan de la Renaissance carolingienne vers la fin du VIIIe siècle.

 

Réputé pour son savoir, Alcuin, le célèbre maître d'école de l'église cathédrale d'York en Angleterre, est appelé à la cour de Charlemagne pour réorganiser l'enseignement dans le royaume franc. Sa mission accomplie, il termine ses jours à l'abbaye Saint Martin de Tours, où il ne tarde pas à y établir une école fort renommée.
 
SES ANNÉES DE FORMATION
 
Né au sein d'une bonne famille de Northumbrie, et peut-être à York, vers 735, Alcuin entre tout jeune à l'école cathédrale et monastique de cette ville. Il y reçoit sa formation littéraire et morale. Egbert, disciple de l'illustre Bède, avait lui-même fondé cette école quand il devint archevêque d'York en 735.
Après l'avoir dirigée personnellement, il en confie la charge à Aelbert qui lui succédera en 767 au siège d'York. Aelbert était un maître éminent ; il avait une vaste culture et, dans un poème qu'il a consacré à la louange des saints personnages de l'Église d'York, Alcuin a exalté la science du maître,le discernement avec lequel il la communiquait à ses disciples selon les dispositions de chacun.
Alcuin est vite repéré par Aelbert. Il profite si bien de ses soins, qu'il lui est associé dans l'enseignement et qu'il l'accompagne dans ses voyages, notamment à Rome, à la recherche de manuscrits pour enrichir les trésors de la bibliothèque qu'Egbert avait fondée. La description qu'en a faite Alcuin montre qu'elle ne contenait pas seulement les ouvrages des Pères de l'Église et des écrivains ecclésiastiques, mais encore ceux des auteurs profanes : Pline, Cicéron, Horace, Virgile. Virgile pour lequel Alcuin se prit d'une véritable passion, qu'il se reprochera plus tard d'avoir aimé mieux que les psaumes.
Quand Aelbert monte sur le siège d'York, c'est Alcuin qu'il met à la tête de l'école épiscopale, et, quand il résigne son archevêché pour se livrer à la vie contemplative, Alcuin reçoit en plus la charge de la bibliothèque. Il apporte dans ses préoccupations le même zèle que ses prédécesseurs, le même souci de développer sans cesse ses connaissances. Il forme de nombreux disciples venus de Bretagne et ce fut pour lui, comme il l'écrit: "une très grande joie de voir ses fils fleurir dans la pureté de leur vie et l'amour du progrès. "
Vers 780, à l'approche de cinquante ans, il n'est que diacre et le restera toute sa vie. Il est également Abbé d'un petit monastère voisin du Humber, mais grande est sa renommée de savant.
 
SON SÉJOUR A LA COUR DE CHARLEMAGNE
 
Probablement dans un voyage effectué sur le continent avec Aelbert, Alcuin avait déjà fait la connaissance de Charlemagne. Il le rencontre de nouveau à Parme, en 781, en revenant de Rome où il est allé chercher le pallium pour son nouvel archevêque Eanbald.
Or, précisément, Charlemagne se préoccupe à ce moment-là de restaurer l'instruction dans son royaume franc et il le lui dit : pourquoi une fois accomplie sa mission auprès de l'archevêque d'York, ne reviendrait-il pas sur le continent pour mener à bien les projets royaux ?
Alcuin hésite : il n'est plus jeune, il aime son école et son pays. A la fin, cédant à une insistance accompagnée de promesses alléchantes, il accepte, sachant à l'avance tout ce qu'il devra sacrifier pour accomplir cette grande affaire.
Quittant l'Angleterre, non sans espoir de retour, Alcuin s'établit donc en 782 à Aix-la-Chapelle, centre de la cour carolingienne, et il y fut le véritable maître de l'École palatine et l'âme de cette fameuse Académie du Palais. Ses membres portent des surnoms choisis conformément à la tradition anglo-saxonne : si Charles porte le surnom de David, Alcuin est Horace, le poète, l'érudit, le rhétoricien. Angilbert, futur Abbé de St Riquier, est, à son tour,
Homère ; Paulin, patriarche d'Aquilée : Timothée; Adalard de Corbie : Augustin.
Pendant une dizaine d'années environ, Alcuin se consacre à l'instruction de Charlemagne et de sa cour. Maître admiré, il professe au Palais devant un public de choix. Il présente nombre de ses écrits à valeur pédagogique, tel un traité sur la dialectique composé comme un dialogue entre Charlemagne et lui-même. Il enseigne également les sciences et applique ses talents à l'Académie en la faisant participer à de nombreux jeux littéraires. Instrument de diffusion de la culture rénovée, cette Académie se compare vite à celles de Rome et d'Athènes : " une nouvelle Athènes se forme en France, écrit Alcuin à Charlemagne, et bien plus belle encore, puisqu'ennoblie par l'enseignement du Christ ; elle surpasse la sagesse de l'enseignement de l'Académie. Celle où Platon enseignait a brillé par les sept arts libéraux, mais celle-là, enrichie par surcroît de la plénitude des sept dons du St Esprit, dépasse en excellence toute la dignité de la science profane. "
(Patrologie Latine, Migne, Tome 100, lettre 86)
Alcuin fait de cette école du Palais un foyer culturel destiné à produire des œuvres inédites pour l'édification des générations futures, et une école où les jeunes gens apprennent les arts libéraux. Il réussit à doter le Palais d'une bibliothèque riche en œuvres sacrées et profanes, " fleurs aux parfums de paradis. "
L'école du Palais s'adresse d'abord à de jeunes aristocrates destinés à des fonctions importantes, notamment aux charges épiscopales. C'est le prolongement de la tradition franque qui faisait assurer la formation des jeunes au Palais du roi et à ses frais. Les adolescents du Palais apprennent à lire, à rédiger des chartes, à chanter, à compter. Ils assistent avec intérêt aux débats que le prince et ses amis tiennent dans leurs moments de loisir. Mais il n'y a pas de programme bien précis. Il s'agit davantage de rencontres avec les maîtres.
Humainement comblé, Alcuin n'est cependant pas heureux. Il s'ennuie de sa Northumbrie et malgré les agréments et facilités de la vie du Palais, il se dit en pérégrination, en voyage, ce qui, pour lui, signifie être en exil.

SES DERNIERES ANNÉES

 Vers 796, presque septuagénaire, Alcuin se plaint à plusieurs reprises de sa vieillesse, de sa mauvaise santé. Les troubles qui désolent l'Angleterre le dissuadent de s'y retirer. Il aimerait finir ses jours au monastère de Fulda, près du tombeau de St Boniface, le grand évangélisateur des peuples ger­maniques, mais le souverain lui offre l'abbatiat de l'un des plus vénérables monastères du royaume, celui de St Martin de Tours. Là, il se remet au travail intellectuel avec courage et ardeur. Plus qu'un auteur, plus qu'un savant, il est devenu un maître. Il travaille intensément à l'amélioration de la langue lati­ne et transmet ainsi l'héritage de Bède le Vénérable en composant une série de traités clairs et lisibles. Il met au point le sacramentaire et le lectionnaire romains dédiés à l'Église Franque. Il favorise la réforme de l'écriture et s'ins­pire des sources antiques ainsi que des sources récentes. Il révise et corrige le texte de la Bible qu'il offre à Charlemagne en 801 à l'anniversaire de son couronnement à Rome. Enfin, il aborde une étude choisie de quelques livres de la Bible, comme la Genèse, les Psaumes, St Matthieu et St Paul.

Une tâche plus ardue : il essaie de réformer la conduite de ses moines. Sa vie est des plus simples, attentive à l'administration du temporel, aux soins de l'école, au travail du scriptorium, à la prière. Quelques disciples venus d'Angleterre viennent se former auprès de lui et l'aider dans ses tra­vaux. Parmi eux se trouve Raban Maur, moine du monastère de Fulda, futur précepteur de la Germanie. Mais pour mener à bien toutes ces activités, il lui faut des livres. « II me manque en partie, écrit-il à Charlemagne, les plus excellents livres de l'érudition scolastique que je m'étais procurés dans ma patrie, soit par les soins de mon maître Aelbert, soit par mes propres sueurs. Je dis à votre Seigneurie pour que votre constant amour de la sagesse vous inspire d'envoyer certains de mes élèves en Grande-Bretagne, d'où ils rapporteront en France toutes ces fleurs de Bretagne... Au matin de ma vie, j'ai semé dans la Bretagne les germes de la science ; maintenant sur le soir, et bien que mon sang soit refroidi, je ne cesse de les semer en France et j'espère qu'avec la garde de Dieu, ils prospéreront dans l'un et l'autre pays. Quant à moi, je me console en pensant, avec St Jérôme, que bien que tout le reste passe, la Sagesse demeure ; et que sa vigueur ne cesse d'augmenter. »

A mesure que son âge avance, il continue de rester en contact avec ses amis, en particulier ceux qu'il a connus à l'École du Palais, et surtout avec Charlemagne auquel il rend compte de ses activités de professeur. « Selon votre exhortation et votre sage volonté, je m'applique à servir aux uns, sous le toit de St Martin, le miel des Saintes Écritures ; j'essaie d'enivrer les autres du vieux vin des anciennes études ; je nourris ceux-ci des fruits de la scien­ce grammaticale; je tente de taire briller aux yeux de ceux-là l'ordre des astres... » A son tour, l'empereur ne cesse de lui écri­re. Il lui demande des conseils et des éclaircissements sur les sujets les plus divers, allant du cycle lunaire à l'orthographe, de l'hérésie de Félix d'Urgel sur la nature du Christ, aux mathématiques.

Cependant, Alcuin se démet bientôt de ses fonctions d'Abbé pour se préparer à la mort. Dans plusieurs lettres, il aborde ce thème : il veut aller à la rencontre de son Seigneur, il attend avec confiance ce jour redoutable. Depuis quelque temps, il a choisi le lieu de son repos. Ce sera, par souci d'humilité, hors de l'église St Martin. Aveugle, il est encore capable de s'y rendre et de chanter une des merveilleuses antiennes qui précèdent la fête de Noël : « Ô clef de David. sceptre de la maison d'Israël, que nul ne saurait fermer. Toi, tu fermes cette maison et nul ne la peut ouvrir. Viens et fais sor­tir de sa prison l'homme enchaîné, assis dans les ténèbres, à l'ombre de la mort. »

Il avait toujours gardé la nostalgie de sa Northumbrie. A ses confrères d'York, il avait écrit : « Mes amis, plus chers que tout au monde, ne m'oubliez pas. je vous prie : mort ou vivant, je serai toujours vôtre. Dieu, dans sa clé­mence, permettra peut-être que vous, qui avez été si longtemps près de moi, vous ensevelissiez le vieillard que je suis. Mais, même si mon corps devait reposer ailleurs, je pense que c'est parmi vous que reposera mon âme, grâce à l'intercession de vos saintes prières. »

Le nom d'Alcuin nous rappelle aussi celui de Bède le Vénérable. En effet, tous deux sont originaires de Northumbrie, tous deux les hommes les plus savants de leur génération. Bède, de rang plus modeste, tout entier à son labeur monastique, penché sur ses livres d'histoire. Alcuin, homme de Cour, de direction, d'influence, et lumière d'un renouveau culturel. Tous deux en quête de la sagesse, la vraie, celle qui ne connaît pas de système, mais qui est goût de Dieu.