Obéissance

 
Obéissance
 
Prends en main les puissantes et glorieuses armes de l'obéissance
(Prologue)
 
Tout homme a soif de puissance et de liberté. Mais aucun peut-être plus que le moine. Et nul mieux que lui ne s'en abreuve, car la puissance n'est qu'en Dieu, et la puissance, c'est la liberté.
Telle est la puissance de Dieu que sans elle on ne peut rien faire. Le moine le sait. Il n'accède à l'infinie puissance que dans l'aveu de son impuissance. Il sait qu'il doit connaître, reconnaître sans cesse son impuissance pour que fasse en lui, par lui, de grandes choses celui qui est puissant.
Telle est la puissance de Dieu qu'en elle on peut tout faire. Cette puissance qui multiplie les pains et marche sur les eaux, ressuscite les morts et guérit les malades, le moine s'en nourrit, il se l'assimile. Par une union plus intime qu'aucune union humaine, et plus réelle aussi, plus profonde, le moine se fond en celui seul à qui toute puissance au ciel et sur la terre a été donnée.
Il ne faut pas que l'homme en face de Dieu s'imagine qu'il est une puissance devant une plus grande puissance et que telle est sa liberté. On parle souvent de son dialogue avec Dieu, mais la seule parole qui parvienne jusqu'à Dieu de la part de l'homme est parole du Christ.
La seule grandeur humaine est dans le Christ. Sans lui, l'impuissance de l'homme est absolue.

Ainsi toute prétention de l'homme à une puissance et à une liberté propres, indépendantes de Dieu, constitue un obstacle, une résistance à l'envahissement de puissance et de liberté que l'amour du Créateur se propose sans cesse de verser dans sa créature.

L'homme se referme souvent sur lui-même, devient son propre esclave et le produit stérile de son néant solitaire, au lieu de s'ouvrir - comme font les saints dans l'aveu et la volonté de leur dépendance totale de Dieu - au partage de l'infinie liberté et indépendance divines. Le moine entend l'ardent désir de son Père des cieux : "Mon enfant, sois libre, partage ma puissance".
L'obéissance est le moyen, la clef de ce partage. Elle établit le moine dans la vérité concrète de sa soumission et dépendance parfaite de Dieu. Elle ente le moine sur le Christ, le fait authentique sarment de la Vigne. En elle seule, la vie du moine porte des fruits et, mieux il obéit, plus il est l'instrument fécond de la puissance même de Dieu.
Car la grande lumière qui conduit le moine est l'obéissance du Fils de Dieu. Il contemple l'œuvre puissante entre toutes, celle du salut, dans la condition impuissante entre toutes, celle de la Croix. Il décèle la grandeur dans l'abaissement, la fécondité dans le sacrifice, la vie dans la mort, la puissance dans l'extrême abandon. Il découvre le principe de sa propre vie dans les paradoxes de l'Incarnation.
Le moine puise ainsi son amour de l'obéissance dans sa passion pour la liberté. Il répète à son compte le mot du Maître : " C'est pour cela que mon Père m'aime: parce que je donne ma vie et que je peux la reprendre. Personne ne me la ravit, mais je la donne de moi-même"
(Jn 10. 17-18),

L'obéissance est liberté.

Tout homme choisit son maître. L'obéissance est dans sa condition. Et selon que le maître élu est le péché ou le bien du Christ, l'obéissance est servitude ou libération.
Mais l'homme ne subit-il pas dans sa nature comme une part irrémédiable du péché ?
Le Fils de Dieu n'a rien laissé sans remède. Il a pris notre condition pour en changer le sens. Il s'est soumis à la conséquence même du péché - le travail, la souffrance, la mort - pour la tourner en lui à la gloire du Père.
Dans le Christ, toute la nature s'est convertie, s'est libérée, s'est glorifiée.
Le secret de ce retour au Père est l'Obéissance du Fils. Le partage de ce secret est la grâce de saint Benoît.