Pénitence


Pénitence
 

 

Châtier son corps. Aimer le jeûne
(Chapitre 4)
 
A l'école du service du Seigneur, la pénitence s'apprend.

A l'école du monde, elle constitue un scandale, une aberration, une folie. La pénitence insulte à l'esprit du monde. Pour le moins entend-on souvent : le Bon Dieu n'en demande pas tant !
Il ne demande même rien en vérité, mais se contente de donner.
En ce sens il n'exige rien : il ne contraint jamais la liberté. Mais son amour l'appelle tout entière.
Le moine entend l'appel et imite Dieu. Il ne demande rien sinon de n'avoir rien. Le moine n'est le mendiant de rien du tout, pas même de Dieu.
Dieu, il l'a. Il sait qu'il l'a. Il n'oublie pas que Dieu s'est donné et se donne à lui sans discontinuer.
Il tente sans relâche l'inventaire de tout ce qu'il a, l'inventaire impossible, jamais fini, de Dieu, qui est son bien, l'unique bien, la richesse totale.
Le moine est un riche, non un pauvre. Son souci n'est pas d'avoir, mais de donner.
Encore qu'il ne se fasse pas illusion : on ne peut rien donner à Dieu. Dieu est inaugmentable, seul suffisant à lui-même, et ne peut donc rien recevoir.
Le moine découvre que sa prière, sa pénitence, vont moins à Dieu qu'à lui, qu'elles le disposent dans l'orbite de Dieu, dans le courant de sa grâce. Il découvre que tout dans la puissance de l'amour divin est de telle façon disposé qu'en aucune occasion il puisse être le donateur et Dieu le donataire.
Le moine sait qu'il reçoit tout, absolument tout, et que pourtant rien, absolument rien, ne lui est dû. Il se sait l'obligé infini de Dieu, condamné à la gratitude, forcé à l'aimer dans la plus humble des confusions. Il se veut un merci vivant.
La pénitence est la monnaie de ce merci.
Elle est la voie toujours ouverte où ce merci peut s'exprimer, s'approfondir, se vivre.
Elle est le champ sans limite où notre pauvre cœur se mesure à l'amour divin.
Pour celui qu'a séduit, fasciné le visage saint et meurtri du Maître, la pénitence est un besoin, une nécessité.
Il n'est pour lui que de fixer le crucifix : ce regard est une exigence et cette exigence une soif. Car il ne se sent jamais aussi ressemblant, mieux configuré, plus intimement uni à son Christ Jésus que dans la pénitence.
La voie sacrificielle est la seule qui mène à Dieu, puisqu'elle est celle du Christ.

Mais la pénitence n'est que la voie et non le but.
On ne la poursuit pas pour elle-même : le dolorisme n'est pas chrétien. Elle inscrit seulement dans la vie concrète un signe de la croix.
Elle est le " signe de la croix" continué, la réponse obligée de tout l'être au signe de la main.
Elle est ce signe en acte, en acte volontaire. Elle est ce signe en vie.
Le devoir peut s'imposer de se priver de pénitence. Le signe de la croix sera alors de n'en point faire.
La pénitence est un esprit. Et cet esprit de pénitence est l'appétit des croix.

" Qui nous séparera de l'amour du Christ ? " (Rm 8,35). Est-ce le froid de l'hiver ou la chaleur de l'été ou la pauvreté ou la chasteté ou l'obéissance ?
Au contraire, s'écrie l'Apôtre, c'est justement pour cet amour que nous embrassons tout le long du jour la pénitence (Rm 8,36).

La pénitence est charité. Ou bien elle durcit le cœur, l'assèche, le livre à l'orgueil, et manque ainsi sa fin.

A l'école du service du Seigneur, c'est l'amour qui s'apprend.